2.1 - Détermination des grandes composantes de la gestion

2.1.1 Choix de l'outil de gestion

Le choix de l'outil de gestion - c'est-à-dire de l'animal ou des animaux· constitue une étape déterminante et difficile dans la mise en place d'une gestion par le pâturage extensif.

• Déterminante, puisqu'elle conditionne la réussite de la gestion et sa pérennité.

• Difficile, parce qu'il n'existe pas de solution toute faite et que le choix conjointement du rnilieu et de ses contraintes financières et pratiques, des opportunités ou problèmes locaux, etc.

Là encore, chaque gestionnaire devra faire sa propre expérience en fonction des données locales,
Deux aspects som à prendre en compte : le choix de l'espèce et le choix de la race.

Les critères de choix

Le choix de l'espèce

Avantages et inconvénients de chaque espèce
• Le mélange des espèces

Le choix de la race

Rappels sur l'obtention des races domestiques
• Remarques fondamentales sur le choix de la race
• Typologie des principaux choix possibles
• Le choix des gestionnaires de quelques expériences existantes

Animaux sexués ou castrats

Pour finir, quelques anecdotes

2.1.2 La pression du pâturage

2.1.3 Le pâturage tournant
 

Les critères de choix

Il est indispensable d'expliciter clairement les cntères sur lesquels doit s'appuyer le choix de l'outil de gestion, afin d'éviter les "coups de coeur" et de garder une certaine objectivité.
Des expériences entreprises, il ressort que les critères de choix sont en fait de trois ordres :

- les critères liés au terrain

- les critères liés à l'animal

- les critères autres, c'est-à-dire liés soit au gestionnaire, et à ses objectifs ou soit aux réalités économiques et "politiques".

Certains déterminent le choix de l'espèce, d'autres celui de la race (les deux aspects étant souvent intimement liés), d'autres encore certaines particularités (ex: pâturage tournant), le tableau donne l'ensemble des principaux critères à prendre en compte, et ce, de façon globale, Nous reviendrons à plusieurs reprises sur ce tableau.


Le choix de l'espèce

Il existe en Europe, trois famlles de "grands" herbivores :

- les équidés: ânes et chevaux

- les bovidés: bison, bovins, ovins (moutons, moulions), caprins (chamois, bouquetins, chèvres)

- les cervidés: cerfs, chevreuils, daims, rennes.

Les mouflons, caprins et ânes sont systèmatiquement rejetés par leur non adaptation aux zones humides (même le Baudet du Poitou), tandis que les problèmes de clôtures et contention éliminent les cervidés et le bison (l'adaptation de ce dernier aux zones humides est par ailleurs douteuse du fait de son poids).

Le choix réaliste est donc limité aux chevaux de chaque espèce.

Avantages et inconvénients de chaque espèce

Ils sont à prendre en compte en fonction des critères de choix retenus.

Le mouton

Particularité de l'espèce Avantages Inconvénients

- petite à très petite taille

- respecte les structures fragiles telles digues de marais salants

- s'adapte aux petites surfaces et au parcellaire linéaire

- danger limité pour les manipulateurs

- investissement faible par animal

- clôture en grillage (chères)

- vulnérabilité par rapport à certains prédateurs (chiens errants, renards, sangliers)

- vélocité assez grande

 

- nécessité d'un couloir de contention s'ils sont en grand nombre sur une surface assez importante

 

- très sensible aux phénomènes d'appétence des plantes(notamment refus des joncs, roseaux, plantes coriaces

 

- beaucoup de refus

- surexploitation des zones favorables (phénomènes important de parcours)

- résiste bien à la soif - supporte mieux que les gros animaux les période de grande sécheresse  
- plus sensible (que chevaux et bovins) à de nombreux parasites   - nécessité d'un suivi sanitaire sérieux, risque d'épidémie
- traitement obligatoire contre la douve si présente
- prophylaxie obligatoire (dans certianes régions)   - reprise annuelle obligatoire
- coût de la prophylaxie
- animal de boucherie   - mévente des produits (même dans le créneau qualité)

 

Il faut également ajouter que l'indigénat du mouton dans les zones humides est très douteux; sa mise en place constitue donc davantage une introduclion qu'une réinrroduction, ce qui est discutable du point de vue écologique.
Le tableau ci-dessus, met en évidence de nombreux inconvénients au Choix "mouton", ce qui, très généralement, dissuade les gestionnaires d'utiliser cette espèce comme outil de gestion. Il est cependant retenu dans certains cas particuliers bIen précis.

- sur des surfaces petites, incapables de subvenir aux besoins d'un gros animal,

- sur des surfaces au parcellaire particulier et à la structure fragile comme les diguettes des marais salants (ex: O.N.C à Chantcloup, L.P.O. dans les Réserves de Moëze et de Lilleau des Niges),

- en complément aux bovins et chevaux (Réserve des Mannevilles, Courtil de Bouquelon et Réserve de la Grand-Mare au Marais Vernier).

Le cheval et le bovin

Chevaux

Particularité de l'espèce Avantages Inconvénients

- moyenne à grande taille

- bon pouvoir de pénétration dans les structures hautes

 

 
- cuir fin - respect des clôtures
- clôtures en barbelés classiques sont suffisantes
- sensibilités aux insectes hématophages (taons, moustiques)
- sabots - défonce moins le sol que les bovins en milieu non portant (limite l'envahissement parle jonc épars ou jonc glauque) - entretien du sabot (sauf chez chevaux camargue) quand il n'y a pas de cailloux ou roches dures

- 1 seul estomac

 

-si désire multiplier les jeunes (ventes)
- si désire limiter les individus

- nécessite une surface plus importante par animal que le bovin

- d'après Lecomte Le Neveu (1986) animal de la stratégie de type K*   -adaptabilité plus longue (mais se superpose avec les caractéristiques de races)

- plus grande fragilité des membres que les bovins

 

  - problèmes de boisereies en milieu non portant
- moins sensibles aux parasites que les bovins
- pas de prophylaxie obligatoire
- pas d'obligation de reprise annuelle  

- vélocité importante (surtout chez les poulains)

  - nécessité à long terme d'un couloir de reprise

- éthologie et comportement alimentaire différents de ceux des bovins
remarque : (d'après Loiseau pâturage plus diversifiant que le bovin ;

d'après Lecomte Le Neveu pâturage moins diversifiant)

- complémentarité bovin-cheval

 

 
sans doute dépend de la race, du terrain et de l'intensité de pâturage
- animal "loisir" - débouché en tant que tel - moins de possibilité de vente pour la viande

 

* Stratégie démographique

Il est à présent usuel de considérer que les organismes vivants disposent de deux façons (= stratégies) pour peupler les écosystèmes :

  • certains misent sur la qualité de jeunes produits, la vitesse de développoment, la mobilité et le pouvoir de colonisation de nouveaux milieux: c'est la stratégie "r".
  • d'autres au contraire misent sur une adaptation plus étroite au milieu, une production de jeunes plus faibles, une longévité plus grande: c'est la stratègie "k".

Il s'ensuit un gradient le long duquel se positionnent différemment les espèces: celles qui pullulent sont le plus souvent de type r. celles qui dlsparaissent sont pour la pluparl des espèces K.

Le bovin

Particularité de l'espèce Avantages Inconvénients
- moyenne à grande taille - bon pouvoir de pénétration dans les structures hautes  
- cuir épais - moins sensible que les chevaux aux insectes hématophages - moindre respect des clôtures nécessité de clôtures fortes
- comage (sauf races mottes) - possiblité d'exploiter les ligneux en cassant les branches - danger pour les manipulations
- sabots multiples - pas d'entretien - tendance à défoncer davantage le sol
- favorise certains joncs
- estomac multiple

- meilleure utilisation des produits

- si désire multiplier les jeunes - nécessite moins de surface par animal
- si désire limiter les effectifs
- d'après Lecomte Le Neveu (1986) animal dont la stratégie démographiuqe est intermédiaire entre K et R - adaptation plus rapide (mais se superpose avec les carractéristiques de races)  
- prophylaxie obligatoire   - nécessité de reprise annuelle
- nécessité d'un couloir de reprise
- ethologie et comportement alimentaire différent de ceux du cheval - vente facile de la viande surtout dans un créneau "qualité" (pour animaux adultes)  

 

Des deux tableaux précédents il ressort que les grandes caractéristiques liées à l'espèce ne pennettent pas d'opter systématiquement pour l'une ou l'autre des deux espèces; chacune ayant des avantages et des inconvénients particuliers. Le plus souvent, le choix se fait selon des critères propres aux gestionnaires:

  • le gestionnaire profite d'une opportunité (Réserve de chasse de St Georges de Bohon, Conservatoire des Sites Lorrains, Réserve des Mannevilles).
  • l'élevage du cheval étant traditionnel en Brenne, la Réserve de Chérine opte pour le cheval.
  • les problèmes de danger et de fréquentation du public élimine, dans un premier temps, les bovins de la Réserve du Marais d'Yves...

Le mélange des espèces

Pour des raisons écologiques (en référence aux milieux primaires où bovins et chevaux cohabitaient) et de complémentarité de pâturage. les gestionnaires optent très souvent pour le mélange - chevaux-bovins - à plus ou moins long terme. Une phase d'expérimentation avec une seule espèce est techniquement plus simple dans un premier temps.
Il est aussi possible de mélanger chevaux et/ou bovins avec le mouton, ce qui présente l'intérêt d'obliger l'animal lourd à pénétrer davantage dans les zones difficiles et manger les plantes coriaces. Le mouton consomme l'herbe de meilleure qualité préférentiellement - il est plus sensible à l'appétance - et prioritairement il possède une technique de pâturage lui permettant de manger l'herbe plus rase que les chevaux et bovins. Par contre du point de vue pratique, le mélange oblige à la réalisation d'une clôture mixte plus onéreuse (grillage, barbelés) et parfois à problème (cheval marchant sur le grillage pour brouter au-delà).

Le choix de la race

Rappels sur l'obtention des races domestiques

Les races domestiques ont été obtenues à partir des espèces sauvages - disparues aujourd'hui - par le jeu de la sélection. Le principe de cette dernière est de favoriser tel ou tel critère au cours des générations successives, notamment avec des accouplements consanguins. Il en résulte que la sélection entraînerait toujours parallélement à une amélioration de telle ou telle production une réduction du potentiel génétique de l'animal et par là-même une réduction de son adaptabilité aux conditions fluctuantes des milieux naturels ou peu anthropisés. En conséquence plus une race est sélectionnée plus elle est performante dans certains domaines précis (y compris certaines formes d'élevages assez durs en montagne) mais plus sa réadaptation totale à un mode de vie tendant vers la vie sauvage est aléatoire.

Il existe donc un gradient qui relierait les animaux peu modifiés par l'homme parce qu'élevés de tous temps en conditions de semi, quand ce n'est totale, libené aux animaux plus travaillés par la sélection, dont les performnances en matière de production sont certes plus fortes mais qui inversement supporteraient moins bien une vie de plein air intégral, sans assistance humaine, dans des écosystèmes difficiles comme les zones humides.

On peut donc parler de races primitives ou archaïques à propos d'animaux dont la pression de sélection humaine a été relativement faible par rapport au milieu naturel qui imprime, lui, une pression de sélection forte et de races modernes ou sélectionnées pour lesquelles la pression de sélection du milieu est devenue évanescente par l'action de l'éleveur qui nourrit, abrite, soigne et gère la reproduction de ses animaux.

Entre ces deux extrèmes se situent des races à la fois confrontées au milieu extérieur parfois dur (montagne) mais également très contrôlées et sélectionnéees par l'éleveur qui sont les races qualifiées le plus souvent de rustiques, et ayant souvent conservé une connotation régionale ou micro-régionale (Ex : vaches Landaise, Nantaise, Froment du Léon...).

Cette connotation régionale pourrait laisser croire que l'on a affaire à de véritables variétés régionales comme on l'observe pour la flore ou la faune sauvage.

En fait, il faut avoir conscience que depuis les débuts de l'élevage, l'homme n'a jamais cessé de déplacer des troupeaux, de rechercher des croisements inter-raciaux et que les races de dénomination régionales représentent très souvent un mélange d'origines variées.
Ainsi et pour ne donner que quelques exemples le petit poney New-Forest et le puissant cheval Percheron sont deux races fortement arabisées, la vache dite normande résulte d'un regroupement tardif des races cauchoises, manchotte, augeronne ... elles-mêmes infusées de races anglaises et scandinaves! La race dite bretonne Pie-noire a été croisée avec de la Durham au XIXème etc.

Pour assurer la gestion d'espaces par le pâturage, le gestionnaire aura donc à choisir entre de très nombreuses races: si l'espace en cause est un milieu peu rude (portance des sols, qualité fourragère, climat relativement favorables) le choix sera plus grand car beaucoup de races conviendront. Si au contraire l'espace présente les caractéristiques habituelles de sites difficiles comme c'est souvent le cas des zones humides, le gestionnaire aura tout intérêt à aller vers les races les moins sélectionnées par l'homme et qui de façon traditionnelle vivent en des sites se rapprochant des lieux d'implanration.

Remarques fondamentales sur le choix de la race

Il n'est pas de notre propos de discuter des performances des différentes races archaïques ou rustiques françaises et étrangères, mais d'aider le gestionnaire, en précisant quelques aspects et conséquences des critères de choix évoqués précédemment, à "cibler" davantage la race - ou le type de race - adaptée à son problème de gestion.
Dans le cadre d'une gestion à des fins biocénotiques, trois questions fondamentales et prioritaires se trouvent posées:

  • l'outil de gestion est-il pérenne?
  • l'impact biocénotique est-il conforme aux objectifs de gestion?
  • le choix de la gestion est-il réaliste?

La gestion par le pâturage extensif d'une espèce étant déjà choisie, les réponses à ces trois questions, au moment de déterminer la race favorable, s'expriment de la façon suivante:

  • les exigences de survie de l'animal sont adaptées aux contraintes du terrain,
  • le comportement de l'animal ne met pas en péril d'une manière ou d'une autre les résultats escomptés lors du choix du pâturage extensif par l'espèce,
  • une des caractéristiques de la race (coût, rareté, ensauvagemenr, agressivité, ... ) ne la rend pas intolérable dans le contexte du cas étudié.

a - Les exigences de survie de l'animal doivent être adaptées aux contraintes du terrain.

  • Détermination des contraintes du terrain

En écologie, ce sont essentiellement les excès qui limitent la répartition des espèces. Les contraintes du milieu sont donc essentiellement dues à l'existence de "facteurs limitants" pour l'espèce grand herbivore. En zone humide, ils résultent pour la plupart de la conjonction des trois éléments fondamentaux suivants:

  • les problèmes d'hydromorphie el de portance du sol qui, entre autres, éliminent les races lourdes et celles sensibles à une certaine stagnation de l'eau (ex : de très nombreux moutons sensibles au piétin). En situation extrême, les inondations importantes en hiver obligent à un pâturage tournant (cf. plus loin). Une façon d'éviter les gros problèmes liés à ce facteur limitant est de choisir une race déjà paniculièrement écoadaptée aux zones humides (cheval Camargue par exemple).
  • la valeur fourragère des groupements végétaux en présence et son évolution au cours de l'année.
  • les excès climatiques
    Les deux derniers éléments permettent de caractériser la "mauvaise saison" qui va décider en définitive de la survie de l'animal. C'est en effet la qualité de la nutrition qui, très généralement, détermine la résistance aux mauvaises conditions climatiques et aux attaques parasitaires.

    + Remarques sw la valew fourragère des groupements de marais:

1°) La très grande majorité des plantes de marais, autres que les graminées et les légumineuses, sont considérées comme non fourragères par les agronomes et sont, de fait, souvent refusées par les troupeaux actuels, Diverses études récentes (Dupont 1985, Lecomte Le Neveu 1986) montrent qu'en réalité de nombreuses espèces de marais (roseau, baldingère, laiches, joncs) sont, au moins à une période de leur cycle annuel, de bonne qualité fourragère, leur refus est donc essentiellement dû à des phénomènes d'appétence (plantes corriaces, riches en silice, .. ,). Certaines races (races archaïque et très rustiques) sont nettement moins sensibles à ces problèmes d'appétences.

2°) Les groupements végétaux diversifiés, notamment riches en dicotyléàones ont peu de risques, sauf non disponibilité au niveau du sol, de présenter des carences en oligoéléments et en vitamines. De même ces groupements diversifiés, surtout lorsqu'ils possèdent des espèces ligneuses, présentent moins d'insuffisances fourragères graves à la mauvaise saison. grâce à une certaine complémentarité entre espèces. Par exemple, certaines espèces comme le roseau sont excellentes en période de végétation mais, totalement desséchées en hiver, possèdent une valeur fourragère très faible. D'autres espèces, comme les joncs ou certaines laiches, présentant encore des parties vertes en hiver, peuvent alors jouer un rôle important.

En conséquence, pour un terrain de marais:
- si les espèces prairiales classiques sont dominantes, la qualité fourragère du pâturage ne constituera pas un facteur limitant important; il n'est sans doute pas utile de faire appel à des races particulièrement archaïques sauf facteurs climatiques forts.
- si les espèces de marais dominent, mais que la flore est diversifiée, présentant encore quelques éléments verts en mauvaise saison, le plein air intégral extensif est sans doute possible sans compléments alimentaires mais avec une race suffisamment rustique, voire archaïque pour:

  • ne pas présenter une sensibilité importante au phénomène d'appétence
  • être capable de supporter une période déficiente du point de vue alimentaire ("raceaccordéon") engendrant un fort amaigrissement et de récupérer ultérieurement. Le degré d'archaïsme ou de rusticité requis dépendra des difficultés climatiques pendant la mauvaise saison (ex: Réserve des Mannevilles, Tour du Valat).

- si la flore présente est très peu diversifiée et ne présente aucune partie verte en mauvaise saison, il faut choisir une race archaïque et éventuellement prévoir un complément en oligoéléments et surtout, à la mauvaise saison, un complément alimentaire (Réserve de Oostvoardersplassen aux Pays-Bas).
Les facteurs climatiques peuvent alors devenir rapidement limitants.

Dans tous les cas, il faut faire altenrion et rester dans un contexte extensif, au risque de voir échouer l'expérience.


+ Remarques sw les "excès climatiques" pouvcml influencer le choix de la race :


Il est préférable, surtout pour limiter les problèmes d'acclimatation. de choisir une race dont la région d'origine présente les mêmes grandes caractéristiques climatiques que celle du site géré. Notamment du point de vue du type de pluviosité et des températures extrêmes.
Ainsi les animaux originaires du bassin méditerranéen peuvent souffrir de la pluviosité et du froid des régions du nord. Inversement. des animaux du nord peuvent souffrir des climats trop chauds.


+ Remarques sur la "mauvaise saison" :

L'existence d'une mauvaise saison (hiver dans le nord, période sèche dans le sud) nécessite de choisir des animaux dont la reproduction sera saisonnée de façon à faire correspondre la mise bas avec la "pousse de l'herbe",

  • Connaître les exigences de survie de l'animal


Il est nécessaire pour celà de connaître les performances exactes de la race choisie, notamment vis-à-vis du plein air intégral, son degré de sélection et ses capacités de saisonnement de la reproduction.
Il faut en particulier éviter les races "anciennes" issues en fait du XIXè siècle ou des animaux originaires d'une région de marais mais qui, traditionnellement, ne passaient jamais l'hiver dans le marais (ex: Baudet du Poitou).

b - Cette même connaissance de la race est indispensable pour prévoir les deux dernières réponses évoquées précédemment (page 29)

  • Le comportement de l'animal mettra en péril les résultats escomptés essentiellement s'il présente de nombreux refus alimentaires, Ceci aurait pour principale conséquence de favoriser certains déséquilibres biocénotiques et de donner par là-même à la gestion une pression sélective forte sur le milieu.
  • Le troisième point dépend essentiellement des critères de choixliés au gestionnaire ou aux contraintes locales.

c - Enfin, le choix de la race étant réalisé, il faut, avant d'acheter, s'assurer de la bonne souche des sujets disponibles:

Une attention particulière doit, entre autres, être portée :

  • sur la pureté de la race (citons des bovins Highland vendus comme pure race par un zoo alors qu'ils présentaient des signes évident de croisement avec" des zébus !),
  • le taux de consanguinité,
  • l'absence totale de sélection naturelle depuis plusieurs générations, qui favorise les tares, souvent incompatibles avec le plein air intégral,
  • une sélection récente pour des critères de type esthétique. Par exemple, les Highland Caltle vendus actuellement par la Highland Cattle Society ont fait parfois l'objet d'une sélection assez forte, fondée sur des critères esthétiques, aux dépends de leur rusticité, certaines souches en particulier pouvant poser des problèmes d'ostéoporose.

Typologie des principaux choix possibles

a - Choix des espèces sauvages ou de leur reconstitution
 

Le cheval de Prejwalski

Il est considéré comme étant le véritable cheval sauvage, Mais, outre le fait que la population actuelle est d'origine steppique, il n'est possible de s'en procurer que dans les zoos où il est élevé depuis des générations, en l'absence de sélection naturelle. L'adaptabilité à des conditions de vie difficiles des sujets actuels est donc très douteuse.
L'expérience échouée de réintroduction dans le Parc naturel national des Cévennes confirme ce doute.

Le Konik ou Tarpan

Le Konik polski est un cheval qui se rapproche beaucoup du Tarpan, espèce elle-même disparue. Il s'agit d'un petit cheval très robuste à robe sombre portant une raie de mulet, d'environ 350 à 400 kg. Il est actuellement très rare en France. Son importation de Pologne en fait encore "un objet de luxe" puisque cet animal coûte plusieurs milliers de francs pièce. Au Pays-Bas, il se montre très résistant à des conditions de vie difficiles; en
France, le recul n'est pas encore suffisant avec l'expérience de Pagny sur Meuse (Conservatoire des Sites Lorrains).

Le bovin Heck ou néo-auroch

Si du point de vue aspect et morphologie, ces reconstitutions sont tout à fait intéressantes, elles posent toujours un problème du point de vue génotypique (génétique) : issues de croisement d'animaux originaires de régions très différentes (ex: Méditerranée, Steppe et Europe du Nord), il n'est pas sûr qu'elles présentent, notamment vis-à-vis des milieux humides, des performances d'adaptation supérieures aux races archaïques déjà écoadaptées.
Les Hollandais ont choisi le bovin Heck dans plusieurs de leurs Réserves (cf photos). Considérés comme des animaux sauvages, ils présentent le gros avantage de ne pas être soumis à la prophylaxie obligatoire. Mais le choix de ces animaux n'est pas sans poser de gros problèmes financiers d'une part, et de consanguinité d'autre part (nécessité de renouveler régulièrement les géniteurs).

b - Le choix des races françaises

Il est certes satisfaisant d'un simple point de vue culturel ou régionaliste d'utiliser des races originaires de la région du site à gérer: ou au moins, de France. Ceci est particulièrement vrai quand il existe une race locale ou voisine en voie de disparition : son utilisation comme outil de gestion peut en effet contribuer à sa survie. il faut toutefois éviter de détourner la finalité de la gestion, et faire référence aux critères de choix et aux remarques évoquées.
Il existe encore en France de nombreuses races, même si beaucoup d'entre elles sont en voie de raréfaction ou de disparition. On pourrait donc penser qu'il est aisé de trouver dans l'hexagone des races adaptées à la gestion des zones humides. En fait deux éléments viennent contredire cet optimisme:

  1. la France n'a pas une tradition conservatrice, aussi les races anciennes jugées non performantes n'ont pas été conservées à quelques rares exceptions près.
  2. la France n'a pas de tradition de plein air intégral, surtout dans les zones humides, excepté en Camargue et dans les marais Landais d'avant le XIXè siècle. En conséquence, beaucoup de races parvenues jusqu'à nous faisaient en fait traditionnellement l'objet de soins spéciaux en hiver et ne sont donc pas aptes à constituer l'outil de gestion voulu, n'ayant pas le niveau de rusticité requis.


Toutefois, parmi les races françaises ayant été utilisées dans les zones humides, en plein air intégral, on peut citer :
- pour les moutons:

  • le Solognot

- pour les bovins :

  • la Camargue

  • la Casta, ou race d'Aure St Girons

  • la Bretonne Pie-Noire

  • la Nantaise

- pour les chevaux :

  • le Camargue

  • le poney Landais

c - Les races étrangères

Les remarques qui viennent d'être évoquées concernant les races françaises, obligent certains gestionnaires à s'intéresser aux races étrangères, et ce, dans la mesure où leur niveau de rusticité est supérieur à leurs homologues français.
Pour les régions de climat atlantique ou nord atlantique, la Grande Bretagne, et en particulier l'Ecosse où existe une importante tradition de pâturage extensif, sert souvent de réservoir de races archaïques.

Exemple de races Mrd atlantiques el étrangères archaïques ou très rustiques de bovins:

  • Highland Cattle (Ecosse)

  • Galloway (Angleterre ?)

Exemples de chevaux primitifs nord atlantiques étrangers :

  • Highland (Ecosse)

  • Shetland (Ecosse)

  • Connemara (Irlande)

  • Islandais (Islande)

  • Fjord (Norvège)

Exemples de moutons primitifs nord atlantiques étrangers:

  • Soay (Ecosse)

  • Shetland (Ecosse)

  • Black face (Ecosse)

Pour les régions de climat méditerranéen, grâce à la Camargue, le problème du choix étranger se pose moins. Certaines races espagnoles ou portuguaises sont particulièrement archaïques (ex: taureau Andalou).

Le choix des gestionnaires de quelques expériences existantes

Il est présenté dans le tableau ci-après:

 

Animaux sexués ou castrats

Les animaux sexués présentent certains problèmes spécifiques (agressivité des mâles, déficience physiologique des femelles gestantes ou en lactation), qui, dans certaines conditions peuvent devenir un handicap insurmontable. Le tableau Suivant met en évidence les avantages et les inconvénients de chaque sujet.

  Avantages Inconvénients
FEMELLES

- reproduction : vente de jeunes

- renouvellement du troupeau

- besoins supérieurs en fin de gestation et surtout pendant la lactation mortalité supérieure des femelles gestantes ou des jeunes quand les conditons sont limites

- prophylaxie stricte

MALES

 

- reproduction

- agressivité, peut-être dangereux (bovins)

- problèmes de clôtures et de voisinage

CASTRATS

- résistance nettement supérieure à celle des femelles moins de surveillance

- prophylaxie moindre
- longévité importante
- vente pour la viande (boeuf)

- pas de produits
- pas de rouvellemetn du troupeau (nécessité d'avoir des géniteurs non éloignés)

 

Le choix d'animaux camés peut être tout à fait judicieux, notammenl dans le cas de surfaces petites, de non disponibilité du gestionnaire ou de difficultés importantes d'accès.
Il peut être également envisageable, dans le cas de grands territoires, en étant réservé aux zones particulièrement difficiles.

Pour finir :  quelques anecdotes

Les éleveurs chevronnés peuvent apporter une contribution non négligeable à la mise en place d'un projet de pâturage extensif à l'aide de races rustiques.
Il n'en demeure pas moins vrai que le spécialiste du bovin Normand ou du cheval de selle peut être parfois amené à juger de façon hâtive quand ce n'est péremptoire une expérience utilisant des races inconnues.
Trois exemples pris à la Réserve naturelle des Mannevilles illustreront ce propos.

  • En 1982 : visite d'un groupe d'agriculteurs de la région normande, un peu pressés au demeurant. Les animaux sont vus d'assez loin dans une friche assez haute qui dissimuleles contours précis des bêtes :

Exclamations des éleveurs : "Elles ont la bouteille" vos bêtes, elles vont pas tarder à crever !" - Franche hilarité des éleveurs. Désarroi total de l'animateur du CE.DE.NA.
Renseignements pris, la bouteille esr un signe chimique d'une grande misère physiologique, souvent liée à une infestation par la douve du foie et qui se traduit par l'apparition d'un poche flasque sous la gorge. Mais le bovin Highland, à l'image de beaucoup de races bovines rustiques possède un grand fanon de cuir sous la gorge, contrairememt à la race Normande que connaissait les éleveurs.
il y a eu méprise totale !

  • En 1983 : visite de cavaliers émérites spécialistes du concours complet et propriéraires de chevaux de sang. Remarques désobligeantes : les chevaux ont "les jarrets clos" et ne sont bons à rien car tarés. Désarroi (bis) de l'animareur.

Renseignememts pris, tous les équidés un peu sauvages (Anes, Zébres, Onages, Portok, Préjwalski ... ) om une propension forte à avoir les "jarrets clos" et les pieds "panards". C'est très pratique pour un équidé surpris par un prédateur ou un obstacle de pouvoir changer bruralement de direction en pivotant sur un des deux postérieurs à condition que les jarrets, quelque peu clos se prêtent à cet exercice. D'ailleurs les vérirables professionnels du
cheval qui utilisent pour leur métier le cheval au quotidien (cirques, gardians, picadors) aiment ce type de cheval très souple dans les changements de direction qu'imposent les aléas de leur profession.

  • En 1985 : une pouliche de quelques mois se brise un membre postérieure. Tous les "gens du cheval" sont unanimes: il faut l'abattre car une fracture chez un cheval ne se guérir pas ou alors il faut sangler et suspendre l'animal. Nous préférons laisser la nature faire les choses, la patte se guérit et en avril 1988, la pouliche accidentée devenue adulte met au monde une superbe pouliche!

Avec ces quelques exemples anecdotiques, mais ô combien révélateurs, on constate que le gestionnaire a donc grandement intérêt à faire ses  constatations lui-même et à ne pas se laisser influencer par des compétences dont le champ de spécialité ne recouvre pas forcément celui que requiert le mode de gestion choisi.

2.1.2 La pression de pâturage

Pour éviter les problèmes biocénotiques et zootechniques, il est indispensable de conserver le mode extensif, caractérisé par une pression de pâturage faible. Celle-ci dépend du terrain et de sa production primaire. Pour déterminer une pression de pâturage correcte, deux critères sont à prendre en compte.

  1. L'état sanitaire du troupeau, connu grâce à un suivi zootechnique (cf plus loin). Il permet de déterminer la pression de pâturage maximale compatible avec l'outil de gestion.

  2. L'impact sur le milieu, connu grâce au suivi scientifique (cf plus loin). Il permet de déterminer la pression de pâturage optimale dans le cadre d'une gestion à des fins biocénotiques.

Si la pression de pâturage maximale est supérieure à la pression optimale, l'outil de gestion est performant et il suffit de jouer sur les effectifs pour obtenir une gestion adaptée aux objectifs fixés.

Si, au contraire, elle est inférieure à la pression optimale, le cas devient problèmatique :

  • soit le résultat est consécutif à un problème de refus, et il peut être bon de choisir une race plus primitive,

  • soit il est dû à une flore trop monospécifique, rendant le territoire trop hostile à la mauvaise saison; un complément alimentaire en mauvaise saison ou le pâturage tournant peuvent alors être des solutions envisageables.

Il faut remarquer que la détermination de la bonne pression de pâturage est obtenue après plusieurs années d'expérience, et il est préférable de commencer par un nombre restreint d'animaux pour éviter les pertes inutiles.
De plus, dans le cas de mise en place de la gestion après plusieurs années d'abandon, le pâturage fait souvent évoluer la capacité d'accueil (amélioration de la flore sur le plan fourrager). Là encore, un certain recul est nécessaire.

A titre d'exemple, on peut citer quelques pressions de pâturage considérées comme correctes (1 animal = 1 UMB ou unité de moyen bétail) :

  • en Camargue, avec le cheval comme outil de gestion:
    1 animal pour 10 hectares.

  • en Hollande avec le bovin comme outil de gestion:
    1 animal pour 2 ha dans les bas marais maritimes.
    1 animal pour 3 ha dans les bas marais saumâtres d'après Beeftink et Daane (non publié, in Evaluation des zones humides, Manaud et Monbet 1980).

  • en Hollande dans les marais maritimes avec un mélange de chevaux et bovins:
    1 animal pour 8 à 9 ha.

  • au Marais Vernier (marais tourbeux)
    - avec le cheval comme outil de gestion: 1 animal pour 2 ha
    - avec le bovin comme outil de gestion: 1 animal pour 1 ha 1/2.

2.1.3 Le pâturage tournant

Lorsqu'une partie ou totalité de la surface gérée est inondée de façon prolongée et incompatible avec toute sorte de pâturage, le pâturage tournant est une obligation: la zone exondée l'hiver ne doit pas être pâturée préférentiellement en été, il convient donc de la protéger au moins partiellement.
Certains gestionnaires optent également pour ce type de gestion :

  • l'Office National de la Chasse à St Georges de Bohon où les poneys :New-Forest lorsqu'ils ont l'ensemble de la surface à leur disposition, mangent en été toute la "bonne herbe" ne laissant que la molinie en hiver, insuffisante pour pourvoir à leur besoins alimentaires.

  • à la Réserve de Tjamme au Pays-Bas où il sera nécessaire de forcer les Highland Cattle pour qu'ils pâturent les zones défavorables.