1.2 - La nécessité d'une gestion active pour la conservation des zones humides

 

1.2.1 Rappel sur l'évolution réciproque des activités humaines et des biocénoses

Le rapport établi en 1986 sur "L'évolution réciproque des activités humaines et des biocénoses dans les Réserves Nature!les" (Le Neveu) a permis de faire le point sur deux faits fondamentaux:

  1. Les zones humides actuelles, quelle que soit leur richesse biologique, ne sont pas, pour la plupart, naturelles au sens primaire du terme.
  2. L'évolution actuelle des activités humaines, et notamment de l'agriculture, au sein des zones humides entraîne une modification souvent très rapide - des biocénoses en présence.

L'influence anthropique dans les zones humides

Exceptés quelques secteurs particuliers (vasières, slikke. schorre), la richesse biologique des zones humides, qu'elles soient littorales ou intérieures, résultent d'une adéquation entre des facteurs naturels et des données anthropiques du milieu. Ces données humaines sont souvent très importantes et appartiennent aux deux catégüries suivantes :

  1. Des actions rémanentes induisant une "artiflcialisation" du milieu. Nous citerons par exemple :- les destructions d'espèces (grands herbivores, grands carnivores, ... ) qui ont depuis longtemps modifié le fonctionnement même des écosystèmes;- les aménagements (drainage, endiguements, ... ) qui ont changé les données hydroédaphiques (données concernant le sol et l'hydraulique) de la très grande majorité des zones humides encore présentes.
     
  2. Des actions fluctuantes mais souvent déterminantes dans l'origine des richesses bioiogiques, c'est le cas en particulier du pastoralisme (pris au sens large du terme, incluant pâture et fauche de fourrage ou de litière) qui est à l'origine de la structure et de la composition spécifique de ces milieux. Or, dans les zones humldes, l'importance des "milieux ouverts", c'est-à-dire de structure herbacée basse, est tout-à-fait primordiale puisque c'est à leur niveau que se situent les principales espèces animales et végétales justifiant l'action de protection, Citons entre autres, l'intérêt de ces milieux pour l'avifaune aquatique migratrice.

L'évolution actuelle des zones humides

D'une manière générale, les marais posent actuellement de gros problèmes agricoles. L'élevage pratiqué traditionnellement n'y apparait plus rentable. Aussi, pour la profession, doivent·ils, à moyen terme être l'objet de travaux d'assèchement ou être abandonnés. Les zones humides risquent donc, à plus ou moins brève échéance, d'être dégradées ou délaissées par l'agriculture (parfois les deux à quelques années d'intervalle !). L'impact de l'une ou l'autre des deux solutions, entraine une profonde modification des biocénoses en place,
conduisant à une banalisation du milieu.

A ) L'abandon induit la dynamique végétale suivante :

 

structure herbacée
basse
structure herbacée
haute
structure
arbustive
structure
arborescente


et provoque la disparition à grande échelle des stades ou verts et des espèces qui lui sont inféodées. Nous avons vu leur importance dans l'intérêt biologique des zones humides.

De nombreux exemples de dégradation consécutive à l'abandon peuvent être cités :

  • Au Marais Vernier de Lavours (Ain), si le marais n'est pas entretenu, l'évolution de la couverture végétale conduit spontanément à une fermerure des espaces ouverts (aulne glutineux et saule cendré).
    Aussi la flore se banalise (Majchrzak, 1984) ; (Ain et Paurou, 1969) .
  • Dans les marais de Saint Georges de Bohon (Manche), l'abandon de l'exploitation élève le niveau de la strate herbacée, interdisant le stationnement des limicoles, alors que ce marais est nécessaire aux migrations de ces oiseaux.
  • En Brière, quand il y a abandon des pratiques traditionnelles, "le marais évolue vers des phragmitaies denses progressivement colonisées par la boulaie" (Constant, 1983).
  • A la Réserve Naturelle du Bout du Lac (Haute Savoie), "suite à un abandon presque total de la fauche, le phénomène d'évolution naturelle tend à faire régresser la flore qui étalt beaucoup plus riche au début du siècle. Ainsi l'arrêt de la fauche se traduit par l'apparition de saules cendrés et d'aulnes glutineux. Ce milieu devient peu intéressant car il tend vers une chênaie, forêt climax déjà largement représentée dans la région. Nous assisterons ainsi à une banalisation du biotope par uniformisation de la flore et par conséquent de la faune" (Mosse, 1984).
  • Les Marais de Chautagne en Savoie, autrefois fauchés pour la "blache" sont à présent abandonnés en grande pante et le boisement à saules et aulnes relaie rapidement les prairies.

Le Marais de Veniél (Loir et Cher) en l'absence d'exploitation pendant 30 ans, connaît une évolution accélérée vers le boisement (Henry, 1981).
Il serait encore loisible d'évoquer dans des termes très analogues les 1,4 million d'hectares de zones humides de France (Mustin, 1982) dont beaucoup (Brenne, Sologne... ) connaissent des problèmes écologiques comparables.

Dans tous les cas, les scientifiques insistent sur l'aspect négatif et banalisant de cette évolution, en s'appuyant sur les mêmes arguments que ceux qui justifient la nécessité de protection, à savoir :

a) La diversité spécifique, pour le site comme pour la région.

b) La rareté et la spécificité des espèces par rapport à un biotope : dans de nombreuses zones humides, les milieux ouverts abritent des espèces rares et caractéristiques alors que les espèces de la structure haute de ces mêmes biotopes sont beaucoup plus banales. Au Marais Vernier, par exemple, les prairies accueillent courlis, bécassines, oies, ... alors que le bois de bouleaux résultant de 30 années d'abandon, de ces mêmes prairies ne comptent plus que rouge-gorges, mésanges, ramiers, etc.

c) Le fonctionnement équilibré des écosystèmes : l'abandon de l'entretien agricole favorise souvent une eutrophisation des groupements présents et une accumulation de la litière, témoignant d'un déséquilibre du milieu (non fermeture des cycles biogéochimiques).

d) Du point de vue paysager : la perte des strates basses engendre une monotonie plus forte, voire une banalisation.

Pour éviter toute exagération abusive, il irnporte ici de remarquer que c'est la généralité de la structure haute qui est néfaste ; l'existence d'une rnosaïque structurale, faisant alterner les secteurs ras et les secteurs hauts, est souvent source de diversité biologique et paysagère el donc de richesse.

 

B ) Inversement. l'intensification agricole, se traduisant généralement par le cortège :

Drainage, amendemen, pression de pâturage forte... engendre une régression de la diversité du milieu et une perte de la spécificité de ce dernier. Ainsi, au Marais Vernier, des groupements végétaux typiques des marais comprenant des espèces végétales rares (Orchidées, plantes carnivores, ... ) cédent-ils le pas à des groupements prairiaux beaucoup plus banaux (dominance de graminées. trèfles. etc. ) après intensification agricole.

1.2.2 La nécessité d'une gestion active

Face à ce constal, pour l'ensemble des gestionnaires. un consensus se dégage sur la nécessité de gérer de façon active, autrement qu'avec une simple proteclion, et sur des crilères autres qu'agricoles.
Mais, si chacun est d'accord pour agir, il est souvent difficile de savoir exactement sur quoi et comment réaliser cette action.

Avant d'entrer plus en détails sur les différents modes de gestion possibles qui feront l'objet de la seconde partie de ce cahier technique, il convient, à ce stade de la réflexion d'insister sur quelques remarques fondamentales d'ordre plus général :

1. La gestion à envisager doit être en relation avec les objectifs de la protection. Il est donc indispensable d'énoncer c1airement ces objectifs. A ce propos, et bien que celà soit parfois pleinement justifié, il faut mettre en garde le gestionnaire - ou futur gestionnaire - contre les études et des objecrifs trop sectoriels et l'inciter à posséder au maximum des arguments écologiques de synthèse. Quelques exemples déjà cités dans le rapporr "Evolution réciproque des biocénoses et des activités humaines dans les Réserves Naturelles peuvent être rappelés ici :

  • Dans la Réserve des Mannevilles, une parcelle entretenue en fauche apparaissait particulièrement riche sur le plan botanique du fait de l'abondance d'une espèce rare d'orchidée.
    L'étude entomologique y a révélé par contre une pauvreté assez grande. On préféra donc à la fauche un mode de gestion plus compatible avec les deux aspects faune et flore, qui se révéla en fait plus intéressant sur le plan floristique (beaucoup plus d'espèces dont plusieurs d'Orchidées rares) comme sur le plan faunistique.
  • On a vu parfois des aménagements ornithologiques incompatibles avec l'intérét floristique. Ainsi, hors Réserve Naturelle, à Mortemer en Seine-Maritime, la création d'un plan d'eau à vocation ornitlhologique a fait disparaître la seule station de Haute Normandie de Pedicularis palustris.
  • Citons enfin les aménagements cynégétiques des marais, destinés au seul gibier d'eau et souvent incompatibles avec une réelle richesse biologique des écosystèmes.

2. La gestion doit être adaptée au milieu. Elle nécessite donc une bonne connaissance préalable du site et de ses différents aspects. Il n'est certes pas utile que la zone à gérer ait fait l'objet d'une thèse ; une bonne gestion n'est pas réservée aux seuls scientifiques de haut niveau. Cependant certaines données sont indispensables à une bonne adéquation de la gestion du milieu. Nous citerons, entre autres, les caractéristiques physiques et chimiques du sol. le contexte ciimatique et hydrologique, les principaux groupements végétaux en présence, le contexte écologique régional, etc. Pour les gestionnaires tout à fait novices en la matière, une expertise réalisée par un écologue qualifié constitue une garantie contre les erreurs de base.

3. Comme nous l'avons dit dans l'avant-propos, et parce que la gestion sera adaptée aux données écologiques du milieu, il est impossible de donner "des recettes", aussi chaque gestionnaire jouera le rôle "d'expérimentateur" pour son propre territoire. Il convient donc de garder une attitude d'expérimentation,

  • en testant. dans la mesure du possible, la gestion choisie sur une surface réduite ;
  • en évaluant cette gestion avec des critères correspondant aux objectifs définis précédermnent. Là encore, il n'est pas toujours utile d'effectuer des études lourdes, et quelques expertises répétées sur plusieurs années peuvent suffire.

4. Comme l'influence anthropique mise en évidence plus haut, la gestion peut intervenir à deux niveaux :

  • sur le biotope, c'est-à-dire en agissant sur les données hydrauliques, topographiques  ou édaphiques ;
  • sur les biocénoses, et notamment la dynamique végétale en maintenant la structure désirée.

5. Enlin, il faut savoir que, quel que soit le mode de gestion choisi, il résultera toujours d'un compromis entre le souhaitable, défini par les objectifs de la gestion, et le réalisable qui tiendra compte des données écologiques mais aussi financières, par exemple, politiques (pris au sens très large du terme) ou foncières. La surface - ou plutôt le manque de surface - constitue souvent un élément primordiail dans le choix et le réalisation de la gestion.

Le chapitre suivant, en présentant les principaux types de zones humides, faisant aujourd'hui l'objet d'une gestion active, permet de préciser ces différents points.